Voici 5 ans, le gouvernement arc-en-ciel avait pris ses responsabilités en matière de politique énergétique, en donnant résolument une chance aux technologies d’avenir. C’est aujourd’hui au Gouvernement réunissant socialistes, libéraux et sociaux-chrétiens de prendre les siennes, en décidant ou non de revenir sur la loi de sortie du nucléaire.

 

Pour des raisons qui lui sont propres, le cdH a décidé que, depuis l’opposition, Ecolo était responsable de l’absence de politique énergétique fédérale au sein de la majorité. S’il souhaite changer de politique énergétique, le cdH a pourtant tout loisir de le faire, lui qui participe au gouvernement. En réalité, le piège tendu à Ecolo par le cdH est gros comme les bénéfices d’Electrabel ; Ecolo ne tombera pas dedans.

Pour les écologistes, le débat n’est pas idéologique mais bien fondamentalement économique et démocratique.

1. Commençons par comparer les factures puisqu’il paraît que sans le nucléaire, l’électricité sera plus chère. Au prix du jour, pour une consommation moyenne de 2500kw/h (ménage 2 personnes), prenons deux exemples : le tarif (fixe pour 1, 2 ou 3 ans) de Lampiris (dont 100% de l’électricité est verte) est de 544,15€/an. Celui d’Electrabel (tarif variable), avec 58,4% d’électricité nucléaire, est de 549,3€. Résultat : l’électricité verte est moins chère pour le consommateur.
2. A l’inverse du gouvernement et des partis qui le composent, Ecolo a déposé dès 2005 un plan crédible de mise en œuvre de la sortie du nucléaire en Belgique (cf. « Electricité : sortir du nucléaire et respecter Kyoto » – pdf ci-dessous) qui permet d’atteindre les objectifs internationaux les plus ambitieux de réduction de gaz à effet de serre (GES). Ce plan de production d’électricité durable est notamment fondé sur une politique de maîtrise de la demande énergétique (à travers l’efficacité énergétique et les économies d’énergie) et sur le développement de l’éolien en mer, de la cogénération et de la bio-méthanisation (les verts européens ont également développé un plan énergétique global à l’horizon de 2030 pour l’ensemble de l’Union Européenne).
3. Une étude beaucoup plus récente du Bureau du Plan que celle utilisée par M. Antoine, est celle présentée en septembre dernier [1], qui montre que, tout en sortant du nucléaire, la Belgique peut atteindre ses objectifs dans le cadre du paquet « énergie-climat » de l’UE, à savoir une réduction de 15 pc ses émissions de GES et l’objectif d’atteindre 13 pc d’énergie renouvelable pour 2020. Et ce à moindre coût : dans ce scénario, l’impact macro-économique pour la Belgique varierait de 0,07 pc du produit intérieur brut (PIB) à 0,45 pc, en fonction des recettes de l’Etat après la mise aux enchères des droits d’émission de CO2 et de leur réinvestissement. Si l’on prend en compte la croissance du PIB prévue de 2010 à 2020, celle-ci subirait, sur base annuelle, un ralentissement de 0,006 à 0,04 points en fonction des scénarios. C’est extrêmement peu. En termes d’emploi, en fonction du réinvestissement des recettes des droits d’émission dans, par exemple, une réduction des charges patronales, l’étude donne un gain de 25.000 emplois pour le scénario le plus optimiste.
4. Alors que le choix se pose entre d’une part des ressources énergétiques inépuisables et gratuites (le vent, le soleil, …) ou renouvelables (la biomasse, …) et, d’autre part, des ressources énergétiques limitées et dont le coût augmente de façon tendancielle (le pétrole, l’uranium, …), la plupart des partis politiques traditionnels donnent la priorité à des ressources limitées et définitivement chères. La seule rationalité qui se cache derrière ce choix est celle du big business : le principal frein au développement du recours à la biomasse, au soleil, au vent, etc. est qu’ils ne sont pas cotés en bourse. A cet égard, et pour information, le prix de l’uranium a augmenté de 1000% en 2 ans et il fait l’objet d’une spéculation effrénée, tablant sur sa raréfaction.
5. Plutôt que de favoriser l’émergence des conditions légales, juridiques et financières qui permettraient le développement effectif des alternatives de production industrielle d’électricité sur notre territoire, la « Communauté de l’atome » cache son attentisme intéressé derrière l’alarmisme et le catastrophisme, en agitant le spectre de la pénurie. Or, le monde industriel belge n’a pas attendu l’échéance de la loi de sortie du nucléaire pour investir dans une capacité de remplacement : depuis l’entrée en vigueur de la loi, des investissements importants ont déjà été consentis dans des centrales au rendement élevé et dans le renouvelable, garantissant d’ores et déjà la sécurité pour la fermeture des premières centrales prévue en 2015.
6. La défense de l’option nucléaire au nom du « mix énergétique » est une imposture car le maintien de cette option ne peut se faire en développant les alternatives : elle ne peut se faire que contre le développement des alternatives. Prolonger les centrales empêchera en réalité la Belgique de remplir ses engagements européens de production d’énergie verte. De plus, avec près de 60% d’électricité produite via le recours à l’uranium, on peut difficilement défendre l’idée que le prolongement des centrales favorise le mix énergétique prétendument promu. Dans le même temps, pour maximiser ses profits et monopoliser le marché, Electrabel-Suez fait de la concurrence déloyale et freine la production renouvelable et les projets de cogénération de ses concurrents ainsi que les centrales au gaz. Electrabel profite des énormes aides publiques reçues pour ses centrales nucléaires pour abaisser ses tarifs sous les prix de revient de ses concurrents. Sans ces aides publiques, la concurrence serait plus loyale et les alternatives au nucléaire se développeraient mieux et plus vite. Or, même le Commissaire européen à l’énergie reconnaît que le nucléaire a besoin d’aides publiques pour exister en Europe.
7. Choisir de miser l’avenir sur l’uranium (d’autant plus épuisable qu’on multiplie les centrales) et l’hyper centralisation nucléaire au lieu de booster les unités de production renouvelables décentralisées constitue enfin un choix particulièrement hasardeux, non seulement sur un plan financier (cf. supra) mais encore plus fondamentalement sur un plan démocratique : comme on le voit au Niger dès à présent pour l’uranium (et de façon beaucoup plus dramatique encore avec la guerre pour le contrôle des ressources pétrolières irakiennes, par exemple), l’accès à et la détention des ressources énergétiques fossiles continueront à conduire à toutes les exactions dont la seule justification relève de la loi du plus fort.

Au niveau politique, ce qui manque en réalité avant tout depuis 5 ans, c’est-à-dire depuis la mise en place du Gouvernement violet puis du Gouvernement actuel, c’est la volonté politique pour faire face au lobby nucléaire. Pour Ecolo, on ne construira pas l’avenir énergétique du XXIème siècle avec les coûteuses technologies du XXème. En se faisant le porte-parole du lobby nucléaire, le cdH redevient le bon vieux défenseur du passé.

Pour Ecolo, aujourd’hui plus que jamais la priorité doit être donnée aux économies d’énergie et aux énergies renouvelables – ce qui ne se limite pas aux éoliennes ! – et non à trouver de nouvelles raisons de temporiser ou de ne pas agir. Ces filières vertes doivent du reste être placées au cœur d’un plan de relance écologique à impulser d’urgence pour sortir de la crise financière et de ses conséquences, au niveau européen, mais aussi en Belgique. Plus que des mots ou de la tactique préélectorale, cela requiert de la volonté politique et des moyens budgétaires ambitieux !

Par Philippe Henry, Député fédéral, Jean-Michel Javaux, Co-président d’Ecolo