Coup de froid sur la filière photovoltaïque

Pour les professionnels et certains politiques, il s’agit rien de moins qu’un « coup d’arrêt » porté à la filière photovoltaïque. Samedi, le gouvernement a publié au Journal officiel deux arrêtés fixant un nouveau cadre réglementaire au secteur. Au programme, à partir de ce jeudi 10 mars : des prix d’achat environ 20% inférieurs au tarif en vigueur au 1er septembre 2010. Une aberration économique pour les industriels, qui pointent plusieurs dizaines de milliers d’emplois menacés et un avenir qui reste flou alors que les énergies fossiles regagnent du terrain.

Pourquoi cette nouvelle réglementation a-t-elle été instaurée ?

 

C’est paradoxalement la bonne santé de la filière qui a poussé le gouvernement à agir. Porté par le Grenelle de l’environnement, des tarifs de rachat attractifs et un engouement populaire, le photovoltaïque a en effet enregistré une croissance rapide ces dernières années, au point d’apparaître en « surchauffe » à la fin 2010 et de faire craindre à une bulle spéculative.

Si le ministère de l’écologie ne pouvait que se féliciter d’avoir presque atteint les objectifs du Grenelle en volume – 5,4 GWc* installés d’ici 2020 -, il avait néanmoins émis des critiques sur la qualité de la filière industrielle. Ainsi, fin décembre, Nathalie Kosciusko-Morizet créait la polémique en dénonçant l’importation massive et polluante de panneaux chinois à bas coût en France.

Après avoir baissé à trois reprises les tarifs de rachat de l’électricité et diminué de moitié le crédit d’impôt énergie renouvelable sur les installations solaires réalisées par les particuliers, le gouvernement a finalement tout arrêté en décembre : il a fixé un moratoire de trois mois sur les projets de plus de 3 KWc afin de définir un nouveau cadre juridique permettant l’émergence d’une filière de production de panneaux photovoltaïques et pas seulement d’installateurs posant des cellules importées.

Que prévoit-elle ?

Désormais, seul le marché des particuliers, c’est-à-dire les installations sur bâtiments de moins de 100 kWc, est concerné par des tarifs de rachat de l’électricité par EDF ; les installations de plus de 100 kWc et les centrales au sol fonctionneront, elles, à base d’appels d’offres.

Le rachat de l’électricité solaire se fera par ailleurs 20% en dessous du tarif en vigueur au 1er septembre puis sera ajusté trimestriellement en fonction des volumes de projets déposés et des baisses de coûts attendues, estimées à 10% par an. Pour la Commission de régulation de l’énergie, ces nouveaux prix sont désormais « conformes aux dispositions de l’article 10 de la loi du 10 février 2000, qui prévoient que les niveaux des tarifs ne doivent pas induire de rentabilités excessives ».

La nouvelle réglementation prévoit enfin « des exigences accrues sur la qualité environnementale et industrielle des projets avec notamment l’intégration d’obligations de recyclage en fin de vie et de démantèlement à compter de l’été 2011 et de l’obligation de fourniture d’une analyse de cycle de vie à compter du 1er janvier 2012″.

Pourquoi les industriels s’y opposent-ils ?

Mardi, des dizaines de professionnels étaient rassemblés devant le Palais de l’Elysée à Paris pour demander au gouvernement de « revoir sa copie » et dénoncer une « concertation bidon ». La filière craint en effet de voir de nombreux industriels mettre la clé sous la porte en raison du manque à gagner lié à la baisse immédiate des tarifs. « Dans l’état actuel du projet de texte, plus de 25 000 emplois seraient détruits d’ici l’année prochaine », estime le Syndicat des énergies renouvelables, dans un texte cosigné avec quinze autres organisations. Pour maintenir leur activité en dépit de la pression sur les coûts, « les installateurs se tourneront vers l’importation des produits les moins chers », soit l’exact opposé de l’objectif gouvernemental, prédit aussi le SER.

Les professionnels pointent par ailleurs un système de « file d’attente », impliqué par les appels d’offres, qui ralentit le développement des projets et questionne sur sa transparence. Les petits industriels indépendants pourraient ainsi être lésés, disposant de moins de moyens pour présenter leurs projets par rapport aux gros groupes.

Les industriels sont d’autant plus remontés qu’ils estiment que ce schéma est loin de donner toutes les garanties au développement d’une filière française solaire, pour l’instant quatrième marché européen derrière l’Allemagne, l’Italie et la République tchèque. L’Association des régions de France relevait ainsi, lundi, qu’en Allemagne la production totale installée était estimée à 18 000 MWc en 2010. « A ce rythme, il faudrait plus de 30 ans à la France pour rattraper son retard », écrit-elle.

Au final, pour Jean-Louis Bal, président du SER, le secteur paie l’absence de « responsabilité de l’Etat qui n’a pas piloté le développement du photovoltaïque de fin 2008 à mi 2012″. »L’Etat aurait dû baisser les tarifs plus tôt, en 2009 et 2010, et plus régulièrement pour éviter une chute brutale », déclare-t-il au site Actu Environnement, ajoutant que « les hésitations gouvernementales ont été néfastes pour l’image du secteur et ont abouti à une perte de confiance des citoyens. » Et de citer, sur la période, une baisse de 30 à 40% du marché des particuliers.

*kilowatt-crête, unité de mesure représentant la puissance maximale pouvant être fournie dans des conditions standard pour une surface équivalent à 1 000 m2 de panneaux.

Photo : AFP

http://ecologie.blog.lemonde.fr/2011/03/10/coup-de-froid-sur-la-filiere-photovoltaique/

Voir aussi:

http://www.slate.fr/story/35467/lobby-nucleaire

http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/10/01/la-filiere-photovoltaique-francaise-reclame-un-cadre-plus-stable_1418798_3244.html