Ce week-end se refermé le 90e Salon de l’automobile de Bruxelles, qui conduira des milliers de nouveaux véhicules sur nos routes déjà saturées et aggravera encore le mauvais score des transports en matière d’environnement. L’occasion de se demander si cette frénésie pour la possession d’une voiture à tout prix peut encore continuer bien longtemps… et de s’informer sur des initiatives qui envisagent la voiture dans une perspective d’usage partagé et de complémentarité avec d’autres moyens de déplacement.

Opinion parue dans La Libre Belgique du vendredi 20 janvier 2012.

Auteur(e)s :

– Céline Tellier, Chargée de mission Mobilité, Fédération Inter-Environnement Wallonie

– Benoît Minet, Responsable de projets, asbl Taxistop

– Claire Laloux, Porte-parole, asbl Voitures à plusieurs (VAP)

Le modèle actuel de l’autosolisme et de la possession individuelle d’une voiture ne peut qu’aboutir à l’impasse ! Outre ses conséquences désastreuses en matière climatique (les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports ne cessent d’augmenter, malgré les améliorations technologiques des véhicules), la politique du tout-à-l’auto aboutit à une congestion invivable tant pour les particuliers que pour les entreprises, à une pollution de l’air et des problèmes de santé publique (obésité, difficultés respiratoires, stress, bruit), à une dégradation de la qualité de vie (confiscation de l’espace public, perte de convivialité), à une production importante de déchets, etc. De plus, la dépendance du modèle automobile à l’égard de ressources naturelles épuisables (pétrole pour les voitures thermiques, lithium et terres rares pour les voitures électriques) impose de revoir urgemment la copie qui définit notre mobilité depuis près de cinquante ans.

« Moi, je n’ai pas de voiture, j’en ai plein ! », s’enthousiasmait récemment un utilisateur d’un service de voitures partagées (ou carsharing classique), se réjouissant de pouvoir, en fonction de ses envies, besoins et humeurs, réserver une petite urbaine au look ravageur, un break pratique ou un monospace familial, tout en profitant par ailleurs d’un bouquet de solutions de mobilité (vélo, abonnement de transports publics, taxis, services de livraison, etc.). Choix et flexibilité sont ainsi au programme de cette nouvelle mobilité, qui envisage désormais l’automobile comme un outil, plutôt qu’une fin en soi, et propose de rationaliser son usage. Le carsharing (classique ou entre particuliers) rejoint ainsi d’autres initiatives comme le covoiturage organisé ou l’autostop au rang des pistes de solutions pour réduire notre dépendance à la voiture, lutter contre les incidences négatives du tout-à-l’auto et permettre une autre mobilité pour tous.

Quelles différences entre ces trois façons d’user de la voiture autrement ?

Dans un système de carsharing classique (centralisé), un organisme met un parc de véhicules à disposition de ses abonnés, véhicules utilisés successivement par des utilisateurs différents. Les frais sont payés par l’utilisateur à l’organisme, et les véhicules répartis en stations décentralisées. Le carsharing entre particuliers procède du principe identique de partage d’un même parc de véhicules, mais sans recours à un organisme centralisateur. Ici, le système se met en place entre voisins, qui se répartissent ainsi les coûts relatifs à l’usage de la voiture (assurances, carburant, etc.), celle-ci restant la propriété de l’un des membres du groupe (www.carsharing.be).

Le covoiturage est l’utilisation conjointe d’un véhicule particulier par un conducteur non professionnel et un ou des passagers. Les « covoitureurs » se sont arrangés pour organiser leur trajet commun, permettant aussi de se répartir les coûts entre utilisateurs. A ce jour, le covoiturage est surtout utilisé pour des trajets réguliers (du type « domicile-travail » ou « domicile-école »), de moyenne ou longue distance, ou dans le cadre d’événements (festivals, etc.). Des bases de données existent d’ailleurs (voir www.taxistop.be et www.carpoolplaza.be) pour faciliter la rencontre entre « covoitureurs ».

En pratiquant l’autostop, enfin, un piéton cherche à se faire transporter gratuitement par un automobiliste de passage, habituellement sans arrangement préalable. Dans le cadre de l’autostop encadré, piétons et automobilistes se sont cependant préalablement inscrits dans un réseau d’utilisateurs et se présentent mutuellement un signe de reconnaissance (voir www.vap-vap.be). L’autostop est souvent utilisé pour des trajets ponctuels vers des destinations variées.

Bien qu’elles aient chacune leurs particularités, ces initiatives ont en commun de proposer un usage plus rationnel de la voiture et de procurer de nombreux avantages, tant pour les citoyens que pour la collectivité. Et elles ne manquent pas d’atouts ! Elles participent toutes trois à une libération de l’espace public et à une fluidification du trafic en diminuant le nombre de voitures nécessaires (on considère qu’une voiture partagée remplace ainsi 11 voitures personnelles !), réduisent les émissions de gaz à effet de serre et la pollution atmosphérique en rentabilisant l’usage de l’automobile et en favorisant la complémentarité aux autres modes de transport, proposent une meilleure intégration du coût réel de la mobilité automobile et réduisent les frais de transport de chacun, tout cela en favorisant les liens de convivialité et la rencontre entre voisins « stoppeurs », « covoitureurs » ou utilisateurs de la même automobile.

Tout bénéfice pour tous, donc ! Qu’attendons-nous alors, pour nous jeter à l’eau et explorer ces nouveaux chemins d’une autre mobilité ? Que peuvent mettre en place les pouvoirs publics pour soutenir ces initiatives et les faire connaître ? Au premier rang des priorités, celle, justement, de la communication sur ces nouvelles solutions : officialiser les pratiques de « voiture autrement », faire reconnaître les différents concepts en insistant sur leur complémentarité avec les transports publics et exiger l’exemplarité des services publics en la matière sont des bases indispensables pour améliorer la visibilité de ces nouvelles solutions. Deuxième piste de travail : agir sur l’espace public et la politique de stationnement. Si des infrastructures ne sont pas indispensables pour passer (dès demain !) à la « voiture autrement », elles permettent cependant de stimuler la pratique et de la rendre visible et avantageuse : on pense ainsi à des zones d’embarquement sécurisé, mais aussi, pourquoi pas, à la réservation d’une bande de roulement sur autoroute pour les voitures transportant au moins deux passagers. Enfin, le soutien public à des expériences pilotes dans des zones moins denses ou la simplification d’aspects fiscaux sont encore des propositions concrètes d’action politique. Mais la balle est aussi dans le camp des entreprises, qui peuvent utilement mettre en place des incitants pour une utilisation plus intelligente de l’automobile par leurs travailleurs.

Et que les acteurs (privés ou publics) de la mobilité ne s’y méprennent : alors que le salon de l’auto continue d’encenser le rêve de la possession individuelle et, oserait-on dire « égoïste », de la voiture, les citoyens sont prêts, désormais, à envisager un usage varié et flexible de la technologie automobile… qui doit rester au service de l’homme et de son environnement, et non l’inverse !