Quel pays stupéfiant que le nôtre, tout de même. Rappelez-vous, c’était il n’y a pas si longtemps, juste avant le 13 juin. Bart était le croque-mitaine incarné, l’horrible nationaliste, séparatiste, fossoyeur de notre belle et chère patrie. Pire que le boche en 14 et en 39. Des voix viriles s’élevaient dans tous nos médias. « ‘Jamais avec moi », « no pasaran » ! De fiers candidats offraient leur poitrail en courageux martyrs de la cause patriotique. Des bataillons de Jean Moulin se présentaient aux urnes pour empêcher l’abjecte abdication, le dépeçage du pays et la main-mise flamingante sur Bruxelles. Et soudain ?

!!!Et soudain ?

Comme transmuté par une rarissime et jusqu’ici introuvable pierre philosophale, voilà notre Bart transfiguré dès potron-minet le 14 juin, lendemain de son tsunami électoral, et dans les jours qui ont suivi. D’horrible repoussoir infréquentable, nous le voici désormais présenté sous des lumières quasi paradisiaques : « homme d’Etat conscient de sa mission », « à l’écoute », « il prend des notes », « un accord raisonnable avec lui est possible », « un homme courtois et cultivé », etc et à l’envi.

Qué passa ?

Au MR, Armand De Decker a au moins eu le mérite de la franchise cynique. Evincés des gouvernements régionaux et de la communauté française, les libéraux francophones sont prêts à négocier un grrrrand accord institutionnel et les élus FDF et leurs frères du VLD comptent pour pipeau, pourvu qu’ils se maintiennent dans le gouvernement fédéral et sauvent ainsi quelques postes de ministres. Ite missa est. Le président Reynders confirmera dans un langage certes beaucoup plus diplomatique.

Mais le plus interpellant est ce qui se passe au Boulevard de l’Empereur, l’autre vainqueur incontestable. Alors que toute la presse nous inonde de comparaisons des programmes PS et NVA, personne ne semble s’inquiéter de ce qui les réunit.

Car le triomphe de la NVA a déjà eu un effet collatéral : le réveil des vieux démons régionalistes wallons du PS. Qui trouvent en Bart De Waver un allié inespéré. Christophe Collignon (fils de et nouveau maître auto-proclamé à Huy) ouvre très vite le bal en affirmant que bien des choses peuvent être régionalisées, y compris la justice. Dans ses traces, l’ineffable Gomez (patron des métallos liégeois FGTB) qui pousse le bouchon encore plus loin: tout peut être régionalisé (les conventions collectives de travail, l’emploi, la fiscalité,… sauf la sécu). Quelle idiotie, s’il ne reste plus que la sécu comme point d’accord-désacccord entre flamands et francophones, je ne lui donne pas plus que quelques années de survie. Viennent ensuite les cerises sur le gâteau, avec les interventions de Rudy Demotte et de Karl-Heinz Lambertz qui dévoilent leurs appétits de nouvelles compétences et d’autonomie accrue.

Derrière les simagrées guerrières, Bart a déjà en grande partie réussi son coup. Le prochain (et dernier ?) gouvernement fédéral sera constitué au départ des maîtres des régions. Vous avez dit confédéralisme ?

Je ne veux pas jouer les oiseaux de mauvaise augure, mais avec des ennemis pareils, Bart peut tout à fait se passer d’amis.