Beckerich, commune verte :
25 ans de développement rural durable
Thierry Laureys, chercheur-associé à étopia, Bertaud Happe, Christina Dewart
La commune luxembourgeoise est dirigée depuis 1990 par un bourgmestre écologiste, Camille Gira.
L’expérience montre à quel point amener une commune sur la voie du développement durable est une démarche de longue haleine mais qui s’avère extrêmement payante. La commune vise rien moins que l’autarcie énergétique pour 2020-2025…
Le processus dont Beckerich et ses habitants bénéficient aujourd’hui s’est effectué sur une période de 25 ans. Pas de révolution donc, mais une évolution en profondeur.
Elu d’emblée échevin à 23 ans, en 1982, Camille Gira devient bourgmestre en 1990 et vient d’entamer un nouveau mandat de 6 ans. Cet ancien aiguilleur du ciel de l’aéroport de Luxembourg a d’abord bénéficié d’un congé politique de 12 h par semaine pendant 8 ans avant de se consacrer pleinement à son mandat. Il est aujourd’hui aussi député Vert et partage son temps entre Beckerich et Luxembourg.
Au Grand Duché de Luxembourg, dans les communes de moins de 3000 habitants (Beckerich en compte 2200), le vote s’effectue directement pour les personnes sur base d’une liste unique. A Beckerich, ce sont 9 conseillers communaux qui sont ainsi élus en deux tours. La majorité compte au moins 5 conseillers dont 2 échevins. Le bourgmestre, sans qu’il n’y ait de loi écrite qui le spécifie, est le candidat qui obtient le plus de voix.
Un peu d’histoire
1970 : Beckerich est touché de plein fouet par l’exode rural : le nombre d’entreprises agricoles chute dramatiquement, les jeunes quittent la commune, le patrimoine bâti se dégrade fortement, le niveau de la population atteint son point bas avec 1500 habitants !
1975 : Un historien local édite un livre sur le passé de la commune et éveille ainsi, avec l’appui d’un groupe de jeunes, l’intérêt des habitants pour leur passé et leur patrimoine bâti. Les premiers propriétaires décident de rénover leur maison.
1980 : Grâce à l’appui de la commission des monuments et sites, on assiste à un effet de boule de neige et l’administration communale peut de son côté améliorer les infrastructures collectives : aménagement des voiries et espaces publics, restauration du patrimoine public. Le tout dans le respect du passé mais sans craindre de regarder vers l’avant : quand un bâtiment doit être nouvellement construit, il intègre clairement des éléments d’architecture contemporaine.
1990 : Camille Gira devient bourgmestre et engage résolument sa commune dans un processus de développement durable sur le long terme. Pour cibler au mieux ses actions, la commune va commander différentes études : diagnostic de l’état de l’environnement et des biotopes, plan vert, plan de développement des villages et étude des ressources énergétiques. Les résultats de ces études seront présentés aux citoyens et c’est en concertation avec la population que sera élaboré ce premier plan de développement rural durable.
1995 : La commune de Beckerich adhère à l’ « Alliance Européenne pour le climat ». Cette campagne regroupe des communes de différents pays européens qui s’engagent à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (CO2) de 50% d’ici 2010, et ce, en solidarité avec les communes du Sud de la planète.
Une commune bâtie sur les trois piliers du développement durable
1 La dimension économique
En 1980, les caisses de la commune sont vides. Mais elle dispose de nombreuses ressources à mettre en valeur.
L’eau
Des analyses montrent que l’eau de Beckerich peut rivaliser en qualité avec n’importe quelle eau minérale distribuée dans le commerce. En 1986, une entreprise française investit dans la création d’une unité d’embouteillage de l’eau minérale. La commune reste propriétaire des sources et actionnaire à 15% dans le capital de l’entreprise et veille à sa gestion durable. Outre la création d’emploi local, les droits de tirage annuels sur les sources et les dividendes de l’actionnariat rapportent 250.000 €/an à la commune !
Centre commercial
Un centre commercial d’envergure régionale a vu le jour à proximité directe de la Belgique. La vente d’essence et d’autres taxations commerciales contribuent également à fournir des moyens financiers à la commune.
Création d’emplois locaux
La commune a décidé de restaurer un ancien presbytère et de le louer à une agence de conseil en comptabilité. Grâce aux nouvelles technologies de la communication, les employés peuvent communiquer avec leurs clients sans avoir à se soucier des embouteillages, en profitant d’un endroit calme… et en bénéficiant d’un prix de location dix fois moins élevé qu’à Luxembourg-ville !
Le milieu rural redevient attractif pour les entreprises et ce type d’implantation décentralisée va contribuer à alléger les problèmes de mobilité urbaine qui pèsent lourd dans l’escarcelle de la société. Beckerich peut en outre se réjouir de l’installation de plusieurs jeunes artisans dans la commune.
Potentiel touristique
Actuellement, le tourisme est quasi inexistant à Beckerich. Cela n’a pas empêché la commune de préserver son incomparable architecture « Maria-Thérésa », de restaurer différents témoins du passé religieux, de créer des pistes cyclables sur d’anciennes voies de chemin de fer. Des témoins modestes mais intéressants du passé industriel de la commune font actuellement l’objet d’attention : un ancien moulin est en voie de restauration à des fins touristiques. Ainsi le potentiel de tourisme doux reste intact à Beckerich.
2 La dimension écologique
Beckerich, la championne de l’autonomie énergétique
L’étude que la commune a commandée sur ses ressources énergétiques révèle les potentiels suivants :
L’éolien
Un projet de 4 éoliennes de 1,8 Mw chacune est en cours de préparation. Ce site éolien est initié par une Société Anonyme dont les actionnaires sont les habitants de la commune et des environs.
La biométhanisation agricole
Une première unité de biométhanisation a été installée dans une ferme. Elle produit de l’électricité pour 15 ménages ainsi que de la chaleur et l’électricité pour la ferme elle-même.
Une seconde centrale de biogaz recycle le fumier et le lisier des 2500 unités de gros bétail de 19 agriculteurs. Cette unité produira de l’électricité pour 700 ménages. En outre, grâce au principe de cogénération, elle fournira de la chaleur à l’équivalent de 120 ménages des villages avoisinants grâce à un réseau de chaleur !
La demande de raccordement à ce réseau est exponentielle en raison du prix du fuel de chauffage.
Une troisième unité installée dans la commune voisine de Redange, assure le chauffage d’une piscine récemment rénovée et de bâtiments communaux.
Les panneaux solaires photovoltaïques
10% des ménages de la commune ont investi dans l’énergie solaire. Les toits de bâtiments communaux ont été mis gratuitement à la disposition de citoyens organisés en copropriété pour y installer des panneaux solaires. De nombreuses maisons individuelles et des hangars agricoles complètent le parc.
Actuellement, 5% de la consommation électrique globale des ménages est assurée par le solaire photovoltaïque. Il faut savoir que la loi grand-ducale oblige le distributeur d’électricité local à racheter les Kw photovoltaïques au prix – très intéressant – de 0,45 €/Kwh. La différence entre ce montant et la valeur de base est prise en charge par l’Etat et donc, par un effort collectif des citoyens.
Un chauffage collectif aux copeaux de bois avec réseau de chaleur.
Beckerich dispose d’un potentiel forestier de 700 ha de forêts, 300 ha appartenant à la commune et 400 ha à des privés. Actuellement, le projet d’un chauffage collectif aux copeaux de bois est en veille en raison du morcellement des forêts privées. Les 262 petites propriétaires ont eu peur du projet communal de remembrement et entraînent un retard dans la concrétisation du projet.
Mais le bourgmestre Camille Gira ne perd pas courage et voit dans le « bois-énergie » un complément idéal aux unités de biométhanisation existantes. La commune de Beckerich vise l’autarcie énergétique d’ici 2020-2025.
Concrètement, cela signifie que la quantité d’énergie produite à partir des ressources naturelles renouvelables locales sera égale à celle consommée par les habitants, les entreprises et les bâtiments publics.
Transports en commun
Anciennement, les liaisons en bus entre Beckerich et Luxembourg se limitaient à deux par jour.
Aujourd’hui, il y a un bus toutes les heures vers Luxembourg et on compte une moyenne de 15 passagers par trajet. Les communes envisagent même d’étendre les horaires en soirée. En concertation avec les communes voisines, une campagne d’encouragement à l’utilisation des transports en commun a vu le jour.
Campagnes de sensibilisation dans le domaine des déchets et de l’utilisation rationnelle de l’eau et de l’énergie
Pour initier ces campagnes, la commune a résolument investi dans la qualité de la communication. Des dépliants quadrichromes, joyeux et pleins de créativité ont largement contribué à obtenir des résultats palpables : 15% de diminution de la consommation d’eau par exemple. De plus, ces campagnes ne sont pas initiés d’en haut, mais avec une participation active des citoyens, au départ des préoccupations quotidiennes de chacun. Résultat : une vraie mobilisation pour le bien-être de tous !
Préservation de la biodiversité
Les sites importants pour le maintien de la biodiversité ont été acquis par la commune ou ont fait l’objet d’un contrat d’exploitation avec les agriculteurs concernés. C’est ainsi que les ruisseaux locaux ont été revitalisés.
Bioconstruction
De nombreux projets, en particulier dans le domaine des bâtiments scolaires, ont été pilotes en matière de bioconstruction.
Peu à peu, le réflexe écologique s’est ancré dans tous les domaines de décision.
3 La dimension sociale
L’école au village
La commune a entrepris la rénovation complète des ses écoles et fait le choix de maintenir des classes maternelles et certaines classes du primaire dans les 4 localités que compte la commune.
En effet, il est très important que les enfants puissent vivre dans leur village leurs premières années d’école. Cela va renforcer leur identité, leur sentiment d’appartenance à un village et cela va contribuer à leur équilibre global dans une société qui perd ses repères. Pour les parents, pour les nouveaux venus au village, l’intégration se fait souvent à partir des enfants. L’école n’est pas seulement un lieu d’éducation pour les enfants, mais aussi un lieu de construction de relations sociales entre les parents, et donc un lieu important pour renforcer la cohésion sociale dans les villages.
L’école primaire d’Oberpallen associe la restauration d’un vieux bâtiment à l’ajout d’une annexe neuve, d’architecture contemporaine.
Au menu : matériaux écologiques, acoustique confortable, solaire passif et actif, isolation soignée, éclairage basse énergie, meubles solides en bois. Les matériaux ont été choisis dans la région pour éviter autant que possible la pollution due aux transports.
Les architectes ont travaillé en collaboration étroite avec les enseignants, les élèves, les parents et bien sur avec les techniciens et les élus communaux. Le résultat : une école où il fait bon vivre, où la pédagogie est ouverte sur le village et sur le monde (la salle de gymnastique est aussi louée à la population locale comme salle de fête ou de banquet).
Services collectifs
Pour rencontrer les demandes d’une société en pleine évolution et favoriser l’égalité des chances homme/femme, Beckerich et les communes voisines ont créé une crèche et un service d’accueil des enfants de 6 à 12 ans en dehors des heures scolaires.
La mise à disposition des jeunes d’un lieu de rencontre et la création d’une maison de retraite pour les personnes âgées s’ajoutent à cette politique sociale préventive. Résultat : en 25 ans, la commune de Beckerich a attiré 700 habitants en plus. Le nombre d’élèves a doublé dans les écoles.
Politique volontariste pour l’égalité des chances
Au Grand Duché de Luxembourg, la politique en général et le développement rural en particulier sont encore trop un domaine masculin. Les projets d’avenir ont pourtant bien besoin de la créativité et de l’originalité des femmes. Une commission pour l’égalité des chances est active depuis 1995 et les structures d’accueil de la petite enfance sont opérationnelles depuis 1997. Ceci ouvre aux femmes des portes vers la vie professionnelle et l’investissement dans la communauté villageoise. Beckerich a d’ailleurs reçu le prix de la meilleure politique de l’égalité des chances homme/femme du Grand Duché de Luxembourg.
Politique d’intégration des personnes d’origine étrangère
Le pourcentage des personnes d’origine étrangère (belges, français, portugais) est de 28% dans la commune et atteint même 50% dans un des ses villages. Pas question d’attendre des manifestations de racisme pour initier une politique offensive d’intégration. Beckerich a créé une commission consultative pour les personnes sans passeport luxembourgeois et leur a ouvert toutes ses autres commissions, ce en quoi elle fait figure de pionnière dans le Grand-Duché de Luxembourg. Des activités multiculturelles veillent aux échanges enrichissants entre communautés. Aux dernières élections municipales, la participation des personnes d’origine étrangère au scrutin a été une des plus importante de tout le pays.
La « biodiversité sociale » tient autant à cœur à Camille Gira que la biodiversité écologique.
Solidarité et participation à tous les étages
La coopération et la solidarité à différents niveaux
Coopération régionale
Le développement durable ne s’accommode pas d’une politique de clocher. Depuis 10 ans, 9 communes rurales proches portent des projets communs : zone d’activité régionale, crèche, transports en commun, maison de retraite et piscine.
Coopération avec les pays voisins
Un festival de musique classique d’envergure est organisé chaque année en collaboration avec quatre autres communes dont la commune belge d’Attert. Un projet « Leader » permet des contacts avec des communes des Pyrénées françaises.
Coopération internationale avec l’Est et le Sud
Beckerich est jumelée avec la commune hongroise d’Ivancsa et investit annuellement 0,7% de ses rentrées financières, soit environ 36.000 € dans la coopération au développement. Ainsi, un projet de formation continue pour les femmes a vu le jour en Inde grâce au soutien de Beckerich. « Penser globalement, agir localement » : le développement durable de la planète n’est envisageable que s’il est basé sur la solidarité entre les êtres humains.
Une forte participation citoyenne
Dés 1982, les commissions consultatives jusque là réservées aux élus communaux ont été ouvertes aux femmes et aux hommes de la rue. Ce système a été progressivement élargi et à l’heure actuelle, 80 personnes sont actives dans 12 commissions permanentes. Pour Camille Gira, la démocratie participative est le fondement même d’un développement durable et global. Il s’agit d’un changement fondamental des valeurs : passer de la prédominance de l’ « avoir » à celle de l’ « être ».
Le milieu rural compte de plus en plus de personnes ayant une formation poussée. Il est bien évident que les agriculteurs, les travailleurs et les artisans ont beaucoup à apporter par leur savoir-faire, mais un nouveau potentiel s’ajoute à eux. Il serait déplorable que les capacités de l’ensemble des citoyens ne soient exploitées que dans le cadre de leur activité professionnelle.
Les communes rurales ont besoin de leurs habitants pour élaborer des scénarios d’avenir et trouver des solutions aux problèmes existants. Camille Gira a décidé d’investir dans le potentiel humain des ses concitoyens. Des formations décentralisées leur sont proposées : cours de prise de parole en public pour les femmes, cours de théâtre, d’informatique. Elles connaissent un franc succès auprès de la population.
Intéresser largement les citoyens à la vie de leur commune, c’est créer des citoyens responsables et combattre le sentiment d’impuissance généré par une société toujours plus distante et anonyme.
Conclusion
Le chemin parcouru en 25 ans par la commune de Beckerich avec son bourgmestre Camille Gira ne fut pas sans embûches, mais il est exemplaire et force l’admiration. Nous avons voulu partager avec vous notre enthousiasme et notre respect pour ces femmes et ces hommes qui, comme nous, veulent rendre le monde meilleur en commençant par leur commune, là où ils vivent.
La démocratie représentative, comme la pratiquent les partis traditionnels, n’est plus suffisante. Elle doit être enrichie par une réelle démocratie participative.
Beckerich a tracé son chemin, en concrétisant les principes du développement durable. A nous d’inventer le nôtre… ensemble !
Références :
• « Rapport d’une visite à Beckerich le 19 novembre 2005 », Thierry Laureys, conseiller
communal Ecolo – Philippeville
• « Von der Fassadenrenovierung zur nachhaltigen Dorfentwicklung – Erfahrungen und
Beispiele aus der Gemeinde Beckerich, Luxemburg », Camille Gira, bourgmestre de
Beckerich
• « Visite guidée chez un bourgmestre vert », André Ruwet et Myriam Hilgers – Revue
Imagine de décembre 97
• « L’or vert pour radier l’or noir », Le Soir, 30 octobre 2004.