L’intérêt général : clé de voûte des décisions administratives de déclassement de voiries vicinales
Les chemins vicinaux peuvent être supprimés selon deux modes de procédure. Primo, la procédure judiciaire où un jugement atteste de l’usurpation trentenaire liée à une absence totale d’utilisation par le public. Ce jugement s’effectue en général dans le cadre de la justice de paix ou auprès des cours d’appel. C’est l’application du fameux article 12 que les associations de défense et de promotion de la petite voirie sont parvenues à faire modifier pour permettre l’extinction progressive de ses effets pervers. Secundo, la décision administrative de suppression du chemin (art.27 et 28). La décision est prise par le Collège provincial, avec recours éventuel auprès du gouvernement régional (sans parler du Conseil d’Etat).
Ces associations ont donc milité pour que la suppression soit limitée à cette seconde voie, garante d’une publicité et d’un contrôle démocratique. Pour autant, il tombe sous le sens, pour qui s’intéresse à cette matière, que beaucoup d’efforts de compréhension sont encore nécessaires dans le chef des autorités administratives, en particulier au niveau communal qui, dans la plupart des cas, est l’organe initiateur de la proposition de suppression auprès du pouvoir provincial.
Pour partir sur une bonne base et se reposer sur des principes clairs et sains, rien de tel que de se référer aux dossiers qui sont montés jusqu’au Conseil d’Etat et d’y reprendre les considérations qui y ont été exprimées. Un cas nous paraît exemplaire, celui de Beauraing en février 2000 (référence 85.175). Certaines phrases y énoncées devraient être reprises en lettres d’or dans le « manuel du parfait gestionnaire du patrimoine communal », donc nous ne nous lasserons pas de les reprendre. En l’occurrence, reprenant presque mot pour mot l’argumentation du collège provincial de Namur (à cette époque appelé « Députation Permanente »), la Région wallonne argumentait comme suit « en effet, c’est la décision de l’autorité communale d’abandonner le chemin, en accord avec l’intérêt général, qui peut donner, le cas échéant, droit de rachat par les riverains, et non la volonté des riverains d’acquérir une portion du territoire communal qui doit entraîner la suppression du dit chemin ».
Le Conseil d’Etat a confirmé que la motivation de la décision de la Région était « exacte, fondée et admissible ». Cette conception énoncée tant par la Région que par la Province devrait toujours s’imposer dans les actes de l’autorité communale. On sait malheureusement [1] que ce n’est pas toujours le cas.
En pratique, c’est donc bien clairement l’intérêt général d’une suppression qui doit orienter la décision d’une commune de proposer un déclassement de chemin. Ce qui a bien sûr tout un tas de conséquences.
On rappellera d’abord qu’en regard de l’intérêt général, utilisation et utilité ne signifient pas la même chose. Un chemin largement utilisé peut être déclassé parce que l’intérêt général le motive (par exemple dans le cadre de la construction d’infrastructures publiques de grande importance telles qu’autoroutes, installation portuaires, voies ferrées…). Inversement, un sentier oublié depuis des décennies peut s’avérer primordial ou même simplement intéressant dans le cadre de la création d’un réseau de promenades ou pour améliorer la mobilité « lente ». L’exemple du réseau Ravel illustre ce phénomène qu’une chose conçue pour un usage devenu complètement désuet peut s’avérer par ailleurs d’un grand intérêt (général !) pour une utilisation future sans aucun rapport avec la fonction d’origine.
On ajoutera que quand elle gère le domaine public c’est le seul intérêt général qui doit être pris en compte par l’autorité. Et non l’intérêt privé ! Celui-ci trouvera quant à lui toujours d’ardents défenseurs dans le chef des intéressés. Bien entendu, cette défense et promotion de l’intérêt général doit respecter le cadre légal et éviter toute spoliation. Ainsi quand, dans le cadre du maintien ou non de chemins vicinaux existants, un échevin de Floreffe parlait d’équilibre entre intérêts particuliers et intérêt général, il sortait de ses compétences et risquait de léser indûment l’intérêt général. Seul ce dernier devait être pris en compte par l’échevin. De même, quand le collège de Gesves envisageait de céder un chemin pour permettre à un particulier de se construire sa place de parking, il allait droit « dans le mur » en cas de recours car les recettes modestes qu’il pouvait se ménager étaient loin de contrebalancer les nuisances que la suppression de ce chemin allaient générer dans le chef de la circulation « lente » (insécurité car obligation de se limiter à de la route, allongement du parcours, détricotage d’un réseau viaire…). L’objectif de fournir un parking à un privé était quant à lui, sous l’angle de l’intérêt général, totalement hors de propos. Bien heureusement, le bon sens a refait surface chez les mandataires locaux, le collège communal a revu sa position et maintenu le chemin vicinal.
Un exemple plus récent démontre encore une fois l’importance de bien saisir ce concept d’intérêt général : la Ville de Namur a voulu proposer au collège provincial la suppression d’un chemin à Malonne, appuyée par le service technique provincial qui argumentait « que le chemin ne s’inscrivait pas dans un réseau de randonnée avéré ». Bref, selon cette conception pour le moins étriquée, un chemin ne sert qu’à la randonnée et s’il n’est pas intégré dans un réseau existant il ne compte pour rien. Quant à une vision d’avenir, cela semble dépasser les capacités de réflexion du service en question. A la proposition de réclamants qu’une déviation plutôt qu’une suppression était préférable, ces mêmes services répondaient que cela nécessiterait des accords avec des riverains et qu’il faudrait aménager un ouvrage d’art pour passer un…ruisseau ! Voilà qui situe le degré d’énergie, de compétence et de sens du service public de certains fonctionnaires provinciaux…Heureusement, après l’intervention du député provincial Van Espen, le collège provincial a suivi une autre voie en s’alignant sur la position des réclamants. Nous n’avons pas l’argumentaire du député mais nous pouvons croire que sa vision a été différente et qu’il a estimé que l’intérêt général pouvait être servi d’une autre façon !
Quelques leçons à tirer : manifestement, trop d’administrations ou de pouvoirs locaux ont une vision étriquée de l’intérêt général. Favoriser la philosophie du « moins on a à faire, mieux le public se portera » n’est pas acceptable. Et céder trop facilement aux sollicitations de particuliers intéressés ne l’est pas plus. Dans le cadre d’une réforme annoncée de la législation sur les petites voiries, il importe qu’un niveau décisionnel plus élevé que le simple échelon communal soit maintenu. Et il faut que les voix des utilisateurs de la petite voirie soient entendues, car elles sont infiniment plus garantes de la préservation de l’intérêt général que l’apathie ou la complaisance de certains mandataires locaux.
NOTES :
[1] Voir cas du Bois de Harre
Cet article provient du site http://www.sentiers.be/spip.php?article773