Le scandale Publifin est l’un des plus gros scandales politiques  de ces 10 dernières années. A lui seul, il a permis de mettre en évidence un ensemble de problèmes de gouvernance, allant de la transparence élémentaire aux rémunérations les plus éhontées, en passant par les fameux petits arrangements entre amis PS, CDH et MR, qui tordent le cou à la démocratie. Ce scandale canalise aussi, et c’est bien normal, la colère des Liégeois et peut-être plus largement, la colère des Wallons, mais aussi leur volonté de comprendre ce dossier, et de comprendre qui fait quoi en politique.

 

« La commission d’enquête, c’est trop technique ! », « Moreau, il est chez Publifin ou chez Nethys ?», « Mais la politique, c’est ton travail ? »… Comme me le disait une amie, « les journalistes écrivent parfois en sautant une étape, comme si chaque citoyen savait ce dont ils parlent ou comme si on comprenait les rôles des uns et des autres ». Toutes ces remarques et questions, je vous propose d’y répondre ici. Pas de grande révélation, de grand discours politique dans ces réponses ! Tout comme mon collègue Marc Hody, j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce que je pense de « l’affaire Publifin » ici ou , et on reviendra très prochainement sur le dossier et sur son avenir.. Je vous propose ici d’expliquer les liens entre les conseillers communaux et les intercommunales d’une part et d’évoquer aussi le rôle d’Ecolo par rapport à Publifin d’autre part.

 

1. Conseiller communal, est-ce un métier ?

 

Non ! Conseiller communal est un mandat local. Les conseillers communaux assument leur mandat en dehors des heures de boulot, s’ils ont un travail (ils peuvent aussi être étudiants, chômeurs, pensionnés…). Soyons concrets : à Liège, les conseillers communaux se réunissent un soir par mois au conseil communal pour voter les budgets, les règlements de police, les travaux, etc. (c’est public : venez voir !) La semaine avant le conseil communal, également en soirée, ont lieu les commissions : en fonction de leurs compétences (finances, culture, environnement, enseignement, etc.), le bourgmestre et les échevins présentent les dossiers qui doivent être votés lors de la réunion du conseil communal qui aura lieu quelques jours plus tard. A côté de cela, il y a évidemment les réunions de préparation au sein d’Ecolo et, évidemment, toutes les rencontres avec  la population.

 

Nous ne touchons pas un salaire, mais des jetons de présence, c’est-à-dire une indemnité uniquement si nous assistons aux réunions des commissions (à Liège, +/- 100 euros bruts) et/ou du conseil communal (à Liège, +/- 200 euros bruts). Cet argent est destiné à couvrir des frais liés à l’activité politique. Chez Ecolo, nous rétrocédons environ 30% du montant brut à Ecolo, à la fois pour nous rappeler que le but n’est pas de nous enrichir individuellement, à la fois pour soutenir collectivement les actions de notre locale et la structure du parti, qui nous soutient dans notre mandat. Au bout du compte, je perçois donc 240 € net par mois.

 

2. Pourquoi les élus communaux ont-ils d’autres mandats ?

 

La commune chapeaute des associations communales (maison de jeunes, institution culturelle, etc.), participe à des intercommunales (c’est-à-dire une association de plusieurs communes pour rendre un service à la population – j’y reviendrai) ou est membre d’institutions qu’elle finance en partie. Elle envoie des représentants, parfois élus, parfois non, dans leurs conseils d’administration et dans leurs assemblées générales.Certains mandats dans ces organismes, notamment dans les intercommunales, doivent légalement être occupés par des personnes élues, ce qui explique que chaque élu exerce certains mandats « dérivés » supplémentaires à son mandat « originaire ».  Ceci n’a bien sûr rien à voir avec ceux et celles qui, volontairement, collectionnent une série de mandats parfois éloignés de leur mandat originaire, afin de concentrer le pouvoir ou les rémunérations !

 

3. C’est le jackpot, ces mandats ?

 

Normalement, non… Beaucoup de ces mandats ne sont pas rémunérés. Dans certains organismes publics, dont les intercommunales, les mandataires reçoivent un jeton de présence, lié au degré de responsabilité qu’ils doivent assumer dans la gestion de la structure. Ce degré de responsabilité est important et la rémunération doit permettre de dégager du temps, de se former, de préparer les dossiers, de prendre des contacts … Malheureusement, certains élus sont devenus les champions du cumul du mandat payant, d’où cette image d’homme ou de femme politique qui s’en met plein les poches, qui dégrade l’ensemble des mandataires !

 

4. C’est quoi, une intercommunale ?

 

Intercommunale, c’est une association de communes qui peuvent ensemble rendre un service public aux citoyens qu’elles ne pourraient pas remplir seules, ou pour le rendre de façon plus efficace et à moindre coût. Compte tenu de l’importance des missions de service public qu’elles exercent (distribution d’énergie ou d’eau, collecte et gestion des déchets, hôpitaux et maisons de repos, …), les intercommunales constituent des acteurs importants en termes de développement et d’emploi.

Publifin est une association intercommunale de la province de Liège (détentrice à 60%) et de communes. C’est un outil public censé servir des intérêts provinciaux et communaux dans le domaine de l’énergie et des télécommunications, mais le montage est devenu plus complexe au fur et à mesure…

 

5. Tu fais quoi chez Publifin ?

 

Je suis depuis mai 2016 dans le CA (conseil d’administration). Puisque c’est une intercommunale, son conseil d’administration est donc composé de représentants provinciaux et communaux, au nombre de 27. C’est le seul organe dont la législation détermine la répartition des sièges, en fonction du résultat des élections et c’est le seul organe où siège Ecolo… Ecolo y est représenté par 3 administrateurs. En 2016, suite à la démission d’une conseillère communale de Seraing, Ecolo a passé un appel à candidature auprès des conseillers communaux des communes concernées et un jury interne a fait passer un entretien aux candidats. J’ai été sélectionnée à ce moment-là et une assemblée de militants a validé cette proposition du jury.

Le CA se réunit entre 8 et 10 fois par an, à nouveau en soirée. Les administrateurs touchent un jeton de présence de 198 euros brut (120 net dans ma situation), s’ils sont présents. Le CA a délégué une partie de ses pouvoirs au bureau exécutif. Un bureau exécutif devrait être un organe de gestion quotidienne mais au sein de Publifin, il s’est comporté comme véritable organe de décision. C’est par exemple lui qui, il y a deux ans, a décidé d’acheter le journal L’avenir, sans aucune discussion au sein du CA. Le bureau exécutif est composé des 3 partis traditionnels (PS, MR et CDH). Lors des réunions du CA, le bureau exécutif a préparé l’ordre du jour et le présente…

 

6. Où est le scandale ?

 

En 2013, des comités de secteur ont été mis en place parce que les compétences de l’intercommunale se complexifiaient et se diversifiaient. Les membres de ces comités de secteur (PS, MR, CDH) étaient des représentants locaux chargés en principe de remettre des avis sur les questions d’énergie et de télécommunications, et sur la gestion locale de ces compétences, aux dirigeants de Publifin. Il s’est avéré que ces mandats sont devenus « fictifs » : il y avait très peu de réunions (parfois une seule par an !), le contenu était très faible (ils ne remettaient pas d’avis mais recevaient simplement de l’information du management), certains membres ne participaient même que peu aux rares réunions et ils touchaient une rémunération fixe, réunion ou pas, entre 10 000 et 20 000 euros par an, sans aucune contrepartie !

Depuis lors, le scandale s’est élargi, notamment avec la mise au jour de rémunérations totalement exorbitantes au niveau de la direction de certaines filiales (dont Nethys).

 

7. Si tu es dans Publifin, tu es dans un comité de secteur ?

 

Non, le CA et les comités de secteur sont deux instances séparées et il n’y a évidemment aucun Ecolo dans ces comités de secteur aux mandats fictifs! Ces organes ne se réunissent pas en même temps et n’ont pas les mêmes rôles. Au sein du conseil d’administration, les administrateurs ont un rôle décisionnel. Dans les comités de secteur, les membres étaient censés travailler en collaboration avec le management de Publifin et de Nethys et lui remettre des avis sur le fonctionnement de l’intercommunale.

 

8. Mais si Ecolo est dans le CA, Ecolo doit savoir, non ?

 

Les administrateurs Ecolo connaissaient l’existence des comités de secteur et leurs objectifs, qui étaient d’ailleurs mentionnés dans le rapport annuel d’activités de l’intercommunale qui est rendu public chaque année.

Ils ignoraient par contre qu’ils n’effectuaient aucun travail et qu’ils avaient été vidés de toute substance ! Au point de départ, les comités de secteur, chargés d’assurer la transition, n’étaient pas une mauvaise idée en soi. Ce qui pose gravement problème, ce sont les rémunérations totalement disproportionnées par rapport au travail (non) effectué.

Si Ecolo avait su que ces comités de secteur étaient des mandats fictifs, nous nous y serions bien entendu opposés, comme nous avons dénoncé à plusieurs reprises les décisions de la structure et son manque de transparence lors de la scission de Tecteo en Publifin/Nethys ou lors du rachat de l’Avenir par Tecteo. La culture politique de Publifin, des petits arrangements entre amis PS, CDH et MR et des mandats qui rapportent, c’est à l’encontre de ce que défend Ecolo depuis sa création !

9. Comment la mise en place de mandats fictifs est-elle possible ?

 

C’est ce que la commission d’enquête, qu’Ecolo a réclamé dès le début du scandale, cherche à établir ! Il est ressorti de plusieurs témoignages devant la commission d’enquête que ces comités avaient été pensés par le Bureau Exécutif (où sont présents PS, CDH et MR) et / ou par les fédérations liégeoises des partis PS, MR, CDH. Lorsque le CA a été saisi de la création de ces comités de secteur en juin 2013, aucun document n’a été transmis ni déposé en séance et la question des rémunérations n’était pas inscrite à l’ordre du jour. Il faut aussi ajouter que les procès-verbaux ne sont pas transmis aux membres du conseil d’administration. Tout a manifestement été fait pour dissimuler les éléments problématiques. Le CA a ainsi été court-circuité et a reçu très peu d’informations, en particulier sur les rémunérations.

 

10. Pourquoi Ecolo n’a-t-il pas agi sur Nethys ?

 

Parce que nous n’y sommes pas représentés ! Publifin possède Finanpart, qui possède Nethys… Dans ce montage, Ecolo n’est présent qu’au sein du CA de Publifin, contrairement au PS, au CDH et au MR, et par exemple à André Gilles, Dominique Drion ou George Pire, membres du Bureau Exécutif, qui sont présents dans chaque instance et dans une série de filiales. Le CA de Publifin est informé a posteriori des décisions importantes de Nethys mais n’a quasi aucune marge de manœuvre.

 

En 2013 et en 2014, l’intercommunale, qui s’appelait à l’époque Tecteo et devenait Publifin, a été vidée de sa substance pour la transférer dans Nethys (ce qui a notamment permis à Stéphane Moreau de toucher un salaire bien plus élevé que ceux des directeurs d’entreprises publiques). À l’époque, les administrateurs Ecolo ont tiré la sonnette d’alarmeau sein du CA sur le fait que Tecteo-Publifin devenait une coquille vide, que beaucoup de pouvoir avait été « changé de place » et que cela mettait le conseil d’administration dans un rôle essentiellement informatif et pourtant responsable de décisions de gestion prises ailleurs. Ils n’ont pas été écoutés.

Les parlementaires wallons Ecolo ont également interrogé à de nombreuses reprises le Ministre des pouvoirs locaux sur le fonctionnement des intercommunales, sur leurs rémunérations, sur les réformes nécessaires, et plus particulièrement sur plusieurs problèmes posés par Publifin et Nethys. Ils ont obtenu plusieurs réformes importantes en 2014 (retour de Publifin dans le giron régional, désignation de commissaires du Gouvernement au sein des intercommunales stratégiques, création d’une commission de déontologie et d’éthique pour prévenir les conflits d’intérêt et contrôler les rémunérations des élus locaux, …) mais le Gouvernement PS-CDH qui a suivi les élections n’a pas mis en œuvre ces décrets, qui existent !

 

11. Et aujourd’hui, on en est où ?

 

La commission d’enquête est en cours. Marc Hody sera auditionné le 13 avril. Il reviendra sur le travail d’Ecolo au sein de Tecteo et de Publifin. Je vous conseille vivement de l’écouter !

Quant à Publifin, ses organes feront l’objet d’une premièreréforme le 30 mars 2017. Il est proposé la suppression du bureau exécutif (les comités de secteurs sont déjà supprimés), la diminution du nombre d’administrateurs dans Publifin et la mission de réfléchir à l’avenir de l’intercommunale. Le nombre d’administrateurs étant appelé à diminuer, Ecolo y aura désormais 1 mandat pour un représentant provincial. De ce fait, je n’y serai plus mais l’important est le travail qu’Ecolo continuera d’y faire. Surtout, nous plaidons pour que cette réforme ne soit pas un simple ravalement de façade, mais touche en profondeur la gouvernance au sein de Publifin mais aussi de ses filiales. Nous avons donc proposé que cet ordre du jour soit élargi et que les réformes soient beaucoup plus fondamentales. Affaire à suivre !

 

Caroline Saal, conseillère communale