Alors que dans certains pays naissent des émeutes liées à la famine générée par l’augmentation du prix des produits agricoles de base, d’autres voient manifester les grands propriétaires fonciers pour éluder de l’impôt les bénéfices colossaux qu’ils ont engrangés suite à cette augmentation. Plusieurs études montrent pourtant l’impasse – les coûts sociaux et environnementaux – des modes de production adoptés par ces grands propriétaires à travers notamment un recours massif aux cultures génétiquement modifiées. Une remise en question qui sera difficile à réaliser tant ce type d’agriculture est étroitement lié aux OGM.
OGM contre devises agricoles
En Argentine, par exemple, l’évolution du contexte agricole a largement bénéficié aux grandes exploitations agricoles qui sont maintenant à l’origine de près de 50 % des exportations du pays. L’oligarchie des propriétaires terriens s’y oppose à une hausse de 25 % des taxes à l’exportation de soja, principale richesse agricole du pays. Une manne pourtant bienvenue pour l’Etat et les politiques publiques qui subissent les effets de l’augmentation des prix alimentaires. Mais la focalisation sur la question de la redistribution pour lutter contre faim, aussi légitime soit-elle, occulte les enjeux agricoles, sociaux et environnementaux liés à l’utilisation massive des OGM.
Les résistances s’amplifient
Les cultures de plantes génétiquement modifiées se concentrent dans une poignée de pays et se résument à quatre plantes : soja, maïs, coton et colza. Leur intérêt vient essentiellement de l’ajout d’un gêne de résistance à un herbicide total – généralement le glyphosate, commercialement appelé Roundup Ready – ou d’un gène produisant un insecticide ou encore des deux. L’ajout de ces gênes permet aux agriculteurs de simplifier la gestion des cultures, les adventices et ravageurs étant plus facilement contrôlés. Mais c’est oublier l’acquisition naturelle d’une résistance par ces adventices et insectes ravageurs.
Ainsi, pour les cultures Roundup Ready, la résistance s’accélère et impose l’utilisation croissante de pesticides. Entre 2002 et 2005, les doses de glyphosate appliquées dans les cultures de maïs aux Etats-Unis ont augmenté de 35 % alors que l’atrazine, un autre herbicide [1] à large spectre, était utilisée en complément pour lutter contre les adventices devenues résistantes. Pour le soja, la situation est similaire : entre 2002 et 2006, le glyphosate utilisé augmentait de 43 % alors que les quantités de 2,4-D, un pesticide très controversé, doublaient. En Argentine, entre 2005 et 2007, une adventice résistante, l’herbe de Jonhson – Sorghum halepense -, s’est déployée sur des surfaces passant de 120 à 1200 km2…
Sans aucune réaction
Le développement et l’usage des cultures résistantes aux herbicides continuent alors que plus de 58 adventices résistantes se répartissent sur près d’un million d’hectares. Une situation qui devrait à tout le moins inciter les Etats et les utilisateurs à plus de précautions. Rien n’y fait : les rotations de soja / maïs génétiquement modifiés se développent, accentuant très fortement l’apparition des adventices résistantes ainsi que leur extension. L’augmentation de la résistance pose un problème majeur à ce type d’agriculture : le glyphosate y est devenu aussi important pour l’agriculture que la pénicilline l’est pour la santé humaine.
Une logique industrielle
Malgré ces problèmes et des rendements moindres pour les cultures génétiquement modifiées, leur développement continue de progresser dans certaines régions. Ces dernières ont un point commun : disposer de très grandes exploitations agricoles. L’utilisation des OGM y assurent une simplification importante de la gestion. Seule deux, voire trois cultures y sont développées, cultures pour lesquels l’utilisation d’OGM résistant aux herbicides assurent des périodes de traitement plus larges et flexibles, et donc, un gain de main d’oeuvre appréciable. Ces systèmes de culture conduisent en outre à l’érosion des sols et à leur appauvrissement. Un système qui n’a donc rien de durable.
Privatisation des profits et collectivisation des externalités
Le développement de ces cultures OGM a renforcé, au Sud en tout cas, la disparition des exploitations paysannes, repoussées voire expulsées vers les terres plus marginales et a également accentué l’exploitation de la main d’oeuvre. Sur le plan environnemental aussi les effets sont notoires : destruction des écosystèmes et de la biodiversité, pollution de l’eau, … Des coûts sociaux et environnementaux qui sont loin loin d’être pris en compte et qui incombent donc à la collectivité, assurant l’exclusivité des profits aux oligarques.
Redistribution ou reforme agraire
Alors qu’il est clair aujourd’hui que ce modèle agricole basé sur les OGM conduit à une impasse technique, on peut s’inquiéter que l’intérêt porté par les gouvernements s’arrête à la captation des rentes agricoles, rentes dont la pérennité est loin d’être assurée. Ce débat, légitime, occulte les vrais enjeux agricoles et la nécessité de développer de vraies alternatives, soit une réforme agraire au profit des plus petits paysans et des paysans sans terre. Et faut-il le rappeler, l’agriculture paysanne est nettement plus productive dans ses régions, plus autonome et plus durable.
Et en europe ?
En Europe, un seul OGM est cultivé, le maïs et pour 2% de la production. Cinq pays européens ont interdit sa culture pour son impact négatif sur l’environnement. Refuser une technologie qui ne profite ni à la société ni à l’agriculture : une option qui a du sens.
Article extrait du site d’interenvironnement wallonie : http://www.iewonline.be/spip.php?article1992
Lionel Delvaux
23 avril 2008